Nous continuons notre série “Lean Manager Interview” où des leaders partagent avec nous ce qu’ils essayent de réussir avec des pratiques du Lean Management. Le focus est mis sur ce qu’ils expérimentent pour mieux satisfaire leurs clients, améliorer les conditions de travail, réduire des gaspillages ou encore apprendre plus vite ensemble avec leurs collègues.
Si vous souhaitez être interviewé de la même manière, n’hésitez pas à m’écrire, je vous appelle pour discuter des points essentiels.
Que pouvez-vous nous dire sur vous ?
J’ai 35 ans, j’habite à Londres. Avec Benoît-Charles Lavauzelle, j’ai cofondé Theodo en 2009. A l’époque j’étais CTO, car j’étais le geek. Aujourd’hui nous sommes environ 250 Theodoers à Paris et à Londres et j’ai déménagé à Londres en 2015 pour faire grandir la boîte à l’international.
Quel est votre métier ?
Aujourd’hui Je suis CEO de Theodo UK. Mon métier c’est pas mal de management et beaucoup de « Go and See » sur les Kaizen de l’équipe. Je continue aussi à travailler au niveau groupe dans une dimension coaching des CTO, car Theodo a grandi en lançant d’autres startups. Aujourd’hui le groupe c’est Theodo France, Theodo UK, BAM, Sicara et Sipios. Je travaille aussi sur la partie recrutement de talents qui est un sujet que j’aime beaucoup.
Comment faites-vous du Lean ?
Si tu es amené à faire un « Go and See » chez Theodo, je t’emmènerais d’abord vers notre Obeya, où tu verrais qu’on a essayé de clarifier qui on est, pourquoi on existe, notre stratégie, et comment cette stratégie s’articule autour de leaders qui font des Kaizen dans l’entreprise. C’est une logique « Hoshin », où on voit bien comment chaque personne s’inscrit dans la stratégie globale, et quel est le but ultime de tout cela.
Ensuite tu verrais une place importante donnée à la voix du client. En effet, nous envoyons un questionnaire-projet à tous nos clients toutes les semaines. Le standard, sur une grille de « très insuffisant » (0) à « excellent » (5) pour les deux questions « Quelle est votre appréciation sur la vitesse d’avancement de l’équipe Theodo ? », « Quelle est votre appréciation sur la qualité de l’accompagnement Theodo ? », est d’avoir 8/10. En cas de non atteinte de cette cible, la semaine est KO, et donc l’équipe réagit en utilisant des outils de résolution de problème que nous avions diffusé.
Comment en êtes-vous arrivé là ?
Nous créons des produits web et mobile pour un grand nombre de clients, de la startup au grand compte. Au tout début en 2009, nous le faisions de façon ad hoc : projets au forfait, beaucoup de temps passé en amont à essayer de se mettre d’accord sur ce qu’on veut exactement faire, ensuite on construit, pour à la fin se rendre compte que ce qu’on a fait ne correspond pas au besoin réel. C’était extrêmement frustrant à la fois pour les clients et les développeurs.
On s’est alors dit qu’on ne pouvait pas continuer comme cela et c’est ainsi que nous avons alors adopté « Scrum ».
Cela fait, nous avions implémenté très tôt un questionnaire-projet, où on demandait à nos clients « que penses-tu de la vitesse de l’équipe et de la qualité de l’accompagnement ? ».
C’est à ce moment-là que lors de discussions avec un Coach Lean, nous avons perçu la nécessité d’intégrer une approche Lean – la dimension apprentissage, l’amélioration continue et le développement des personnes. En travaillant ensemble, l’une de ses premières questions par rapport au questionnaire client a été pourquoi il n’est pas visible de toute l’équipe en permanence, sur le visuel du projet concerné ? En effet, jusque-là, nous traitions les résultats de ce questionnaire lors de notre réunion hebdo top management et l’équipe n’était pas impliquée directement dans les réactions mises en place.
Ce fut le tournant de notre aventure Lean. Nous avions compris qu’il s’agissait de créer des indicateurs très clairs et idéalement liés à la satisfaction client, mais aussi de partager ces indicateurs avec toute l’entreprise et donner aux Theodoers les outils pour réagir en cas de problème.
Finalement, qu’essayez-vous de réussir ?
Nous voyons le Lean comme un formidable outil de développement du Leadership.
Le but du Lean chez nous, c’est vraiment de développer le leadership des Theodoers et de former des leaders de la Tech. C’est aussi un objectif externe car nous aidons nos clients à créer eux-mêmes des produits digitaux et devenir ainsi des leaders de la Tech dans leur domaine.
L’idée de l’Obeya c’est responsabiliser chacun dans l’entreprise sur : quelle est l’aventure dans laquelle nous sommes, quels sont les indicateurs qui nous permettent de savoir si on est OK ou KO dans notre avancement. Ensuite donner une opportunité de s’impliquer à un certain niveau de la stratégie, pour que chacun ait un espace de liberté pour développer son leadership en essayant d’améliorer les choses.
Quelle est votre approche pour faire de l’alignement avec une Obeya ?
Aujourd’hui, je pense que notre Obeya est une représentation physique de notre stratégie, que nous essayons de communiquer régulièrement à toute l’entreprise. Cela aide à ce que cette stratégie soit intégrée même par les nouveaux qui arrivent. Ensuite le focus qui est mis sur la satisfaction client permet un alignement total là-dessus : je vois des Theodoers démarrer des Kaizen sur des problèmes qu’eux ont vécu, et qui s’inscrivent dans notre stratégie. Chez nous, si tu démarres un Kaizen, il doit être lié à la stratégie, et grâce à l’Obeya, toute personne sait par exemple dire le point précis du pareto de causes de non satisfaction clients qu’il adresse et le résultat qu’il a envie d’obtenir.
Ensuite il a fallu créer une culture où tout le monde a envie de faire des Kaizen. Cela nous a pris beaucoup de temps et pas mal d’effort. J’essaie de faire au moins un « Go and See » par jour sur des Kaizen. Plus que l’Obeya, c’est le « Go and See » quotidien qui tire le kaizen.
Des difficultés ?
Nous sentons que l’adoption du Kaizen a été une idée géniale. Nous sentons qu’il répond vraiment au besoin des collaborateurs qui est « je n’ai pas envie de faire uniquement mon travail toute la journée, j’ai aussi envie d’avoir du temps dédié à améliorer mon travail ». Mais l’adoption massive du Kaizen et le fait d’aider les collaborateurs à faire du Kaizen utile – pas juste pour faire semblant – ça c’est vraiment difficile !
Là-dessus, la pratique fait que le top management a commencé à vraiment bien comprendre ce qu’est un bon Kaizen ; de plus nous avons du coaching externe : tous les mois, un coach Lean vient faire le tour des Kaizen pour aider les Theodoers sur des principes Lean. Et ensuite nous – mon associé et moi, nous faisons des go&see tous les jours et essayons d’agir en Coach avec les équipes.
Où en êtes-vous finalement ?
En échangeant avec des enthousiastes du Lean, je constate que nous sommes assez bien avancés. Pour échanger avec d’autres, j’ai créé le club « Lean tech leaders » à Londres. L’idée est de trouver des personnes qui, comme moi, sont des dirigeants d’entreprise dans le monde de la Tech et qui s’intéressent au Lean.
Nous avons atteint une étape où la démarche de Kaizen est adoptée par toute l’entreprise. Cela permet de maintenir d’excellentes performances en termes de satisfaction client, qualité et lead time, bien au-delà de la concurrence, malgré la croissance très rapide. Nous pensons cela-dit que nous pourrions faire encore beaucoup mieux. L’étape d’après c’est de développer plusieurs dizaines de leaders Lean dans le groupe ce qui permettra de démultiplier d’autant ce qu’on fait.
Qu’en est-il de vos collaborateurs ?
Nous mesurons bien entendu le feedback des Theodoers. Pas forcément suffisamment souvent – on y travaille – mais au moins une fois par an. Nous sommes lauréats chaque année du classement « Happy At Work ». Nous avons perdu quelques places après avoir été premier et à mon avis, pour revenir à la première place, il faudra qu’on arrive à impliquer tout le monde dans le Kaizen dès leur arrivée.
Quels sont les chiffres qui montrent que Theodo réussit avec le Lean ?
S’il y a un indicateur de réussite du lean, c’est notre capacité à scaler. Nous avons multiplié par 20 la taille du groupe depuis 2012, et nous sommes confiants que, grâce au lean, nous pourrons maintenir cette croissance très forte dans les années qui viennent.
Quelles sont vos prochaines étapes ?
On s’est demandé ce qui est impossible dans notre métier et qui en même temps serait génial : c’est développer beaucoup plus vite ! Réussir à développer des produits en 5, 4 puis 3 semaines, c’est quelque chose sur lequel nous avons envie de mettre beaucoup d’énergie.
Un autre sujet important pour nous, c’est faire en sorte que le produit soit particulièrement pertinent. Nos clients viennent nous voir pour développer un produit et ainsi résoudre un problème business : productivité, business développement par exemple. L’idée est d’aider nos clients à utiliser le Lean pour faire des produits qui résolvent leurs problèmes business et soient géniaux pour leurs utilisateurs à chaque fois !
Finalement l’IT est une industrie difficile. Nous avons un niveau de satisfaction client très au-dessus de la moyenne, mais nous n’avons pas encore « excellent » de nos clients toutes les semaines donc nous continuons nos efforts pour nous améliorer sur ce point.
Qu’en avez-vous appris personnellement ?
En 6 ans, j’ai énormément changé. Le Lean m’a apporté une forme de leadership et de management compatible avec ma personnalité. En tant que fondateur, j’ai un profil plus technique. Grâce au Lean, j’ai pu démultiplier mon impact et garder un vrai lien sur le concret, la technique. Grâce au « Go and See », je peux interagir avec les équipes sur leur travail au quotidien.
C’est une façon de conserver ma personnalité technique tout en développant une entreprise, dans laquelle nous sommes plus de 200 à Paris et Londres.
Une question pour nos lecteurs ?
J’ai découvert que depuis que le concept de transformation digitale a explosé – depuis 2008 environ – la croissance de productivité des pays de l’OCDE a chuté. C’est d’autant plus marqué au UK où c’est carrément plat. Pourquoi la transformation digitale qui par définition devrait mener à une augmentation de productivité, ne se traduit pas au niveau macro-économique ?
Et si on regarde les GAFAs qui ont des productivités incroyables… est-ce que leur secret c’est leur expertise technique, leur méthode de management ou plutôt le mix des deux ?
Si c’est le mix des deux, comment nous, praticiens du Lean Management, pouvons-nous contribuer à remettre la productivité au cœur des transformations digitales ?
Contactez-nous pour échanger ou proposer de nouveaux retours d’expérience.
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